From African perspectives

« Sous l’effet de l’interaction intracontinentale, la scène est également plus fluide, plus dynamique qu’elle n’a jamais été… »

Bomi Odufunade on the contemporary art scene on the continent

Em'kal Eyonga.kpa, Passenger series, 2012. Courtesy of the artist and Doual'art Cameroon.

Em'kal Eyonga.kpa, Passenger series, 2012. Courtesy of the artist and Doual'art Cameroon.

By Bomi Odufunade

Le développement et le succès des espaces artistiques visuels et des centres culturels indépendants à travers toute l’Afrique ont entrainé une mutation significative de la scène artistique contemporaine; le continent regorge de talents artistiques de renom international,  vivant et travaillant sur place.

 

En cette 55e édition de la Biennale de Venise, le photographe Edson Chagas établi à Luanda  a remporté la récompense suprême, le Lion d’or, pour le meilleur pavillon national, celui de l’Angola  ; ainsi  un pays africain, se voit-il décerner ce prix prestigieux pour la première fois dans l’histoire de la Biennale.  Plus loin en Suisse, à Art Basel, l’artiste sud africain Kemang Wa Lehulere a occupé le devant de la scène en remportant le Prix bâlois qui  distingue les artistes montrés dans Statements, une section d’Art Basel consacrée aux jeunes artistes émergents  ; récemment enfin, l’artiste égyptien en arts visuels Basim Magdy et le Marocain Bouchra Kahalili  ont fait partie des cinq lauréats du Abraaj Group Art Prize 2014.

Jusqu’au milieu des années 90, les lieux et plateformes exposant les travaux d’artistes en devenir ou même déjà établis étaient rares. On retiendra en particulier  l’Espace doual’art, une galerie  avant-gardiste comprenant un programme expérimental créée en 1995 par Marilyn Douala Bell et Didier Schaub au Cameroun.

D’autres espaces participatifs destinés aux expositions et aux programmes d’artistes ont été mis en œuvre tel L’appartement 22 au Maroc, la Townhouse Gallery en Egypte, la Nubuke Foundation au Ghana et le CCA de Lagos (Centre of Contemporary Art) au Nigeria . «  J’avais le sentiment de lacunes au sein même de la présentation de l’art contemporain,  »   avance Bisi Silva, le directeur du CCA.   «  Un virage phénoménal s’est opéré en l’espace d’une simple décennie … et sous l’effet de l’interaction intracontinentale, la scène est également plus fluide, plus dynamique qu’elle n’a jamais été.  »

Ce qui s’est développé, c’est une nouvelle génération de galeries qui s’implante au niveau local tout autant qu’elle attire un public international vers ses artistes et programmes. L’Afrique du Sud a montré le chemin en la matière sans faire de bruit, avec notamment les galeries Stevenson, Goodman, MOMO et WHATIFTHEWORLD. Joost Bosland, directeur chez Stevenson à Johannesburg, note qu’  «    il y a une énorme énergie en Afrique du Sud en ce moment…À Johannesburg, une groupe de jeunes artistes vient d’émerger. Parmi les  gens auxquels je pense, il y a Kemang Wa Lehulere, Nicholas Hlobo, Zander Blom, Serge Nitegeka, Nadipha Mntambo, et Zanele Muholi, mais la liste n’est pas exhaustive.  »   Cécile Fakhoury, née à Paris et basée à Abidjan, a lancé un nouvel espace en Côte d’Ivoire qui vise à promouvoir l’art contemporain à travers tout le continent, et déclare  :  «  pendant longtemps, les artistes voulaient partir et exposer en Europe ou aux États-Unis, mais aujourd’hui, nous observons que nombre d’entre eux reviennent au pays. Cela s’explique facilement… Nous avons plus d’espaces dédiés à la culture et aux arts.  » Pendant ce temps à Londres, Maria Varnava, fondatrice et directrice de Tiwani Contemporary,  a ouvert sa galerie en mettant principalement l’accent sur des artistes contemporains du Nigeria, de toute l’Afrique et de sa diaspora.

L’avènement des nouveaux médias et de la photographie numérique, tout comme le succès du Lagos Photo Festival et de Addis Foto Fest ont favorisé le développement sur le continent d’une culture des arts visuels dynamique et riche d’expériences. De nombreux artistes, de Younès Rahmoun (Maroc), Emeka Ogboh (Nigeria), Sherin Gurguis (Égypte), Dimitri Fagbohoun (Bénin), aux Frères Hasan et Husain Essop (Afrique du Sud),  de Nyaba Leon Ouedraogo (Burkina Faso) à Fatoumata Diabaté (Mali), Ismaïl Bahri (Tunisie), Nástio Mosquito (Angola) et  Em’Kal Eyongakpa (Cameroun), ont tous intégré de nouvelles approches et techniques dans leur pratique artistique.

Avec la mutation du marché de l’art contemporain mondial, les foires d’art internationales se concentrent maintenant sur les marchés émergents d’Asie, du Moyen Orient et de l’Afrique. Au mois de mars de cette année, la section Marker de Art Dubai  a choisi de donner une place d’honneur à l’Afrique de l’Ouest. L’édition 2011 de Paris Photo a présenté le passé et le présent dans la photographie contemporaine africaine et en octobre et une nouvelle foire d’art appelée 1  :54 concentrée sur l’Afrique et les galeries internationales exposant les travaux d’artistes africains va s’ouvrir à Londres.

La montée en flèche des prix et les cotes record des plus renommés des artistes du continent ont rendu crucial le rôle des salles de vente. Art House Contemporary à Lagos et Terra Kulture, centre nigérian d’arts et de culture organisent régulièrement avec succès des ventes d’art moderne et contemporain africain.  En dehors du continent, le marché est dominé par Bonhams à Londres, bien qu’en 2010  la société de vente aux enchères Phillips soit entrée sur le marché avec AFRICA, qui présente les talents contemporains et totalise 1 401 038 $ de ventes. Le bruit court enfin que Christie’s serait activement à la recherche d’un moyen d’inclure les artistes contemporains africains dans son programme de ventes.

Impossible d’ignorer non plus le succès d’artistes tels que le Béninois  Meschac Gaba et le Ghanéen établi au Nigéria El Anatsui, qui ont choisi de continuer à vivre et travailler en Afrique. Au mois de juillet, la première exposition personnelle de Gaba aura lieu à Londres à la Tate Modern. La galeriste de Gaba à Paris, Fabienne Leclerc, ajoute  : «  Il (Meschac) s’implique énormément dans le développement de la scène artistique au Bénin et a ouvert une résidence destinée aux jeunes artistes ainsi qu’une bibliothèque donnant accès à l’art contemporain à toute une génération d’étudiants en art.  » Fabienne Leclerc représente maintenant aussi un autre artiste béninois, Dominique Zinkpè, rencontré à la Biennale de Cotonou.

La tapisserie tissée de capsules métalliques aplaties, œuvre de Anatsui  intitulée Another Plot, a atteint un record mondial chez Chistie’s où elle a été adjugée 1 179 750 $ au mois de mai, et deux musées consacrent actuellement chacun une  grande exposition personnelle à cet artiste aux États-Unis.  Christa Clarke, commissaire chargée des Arts d’Afrique au Newark Museum du New Jersey, déclare qu’il a été «  merveilleux de voir l’impact du travail de El dans le monde entier. Lorsque nous avons fait l’acquisition de notre  »  tenture murale en métal » en 2005, il n’était pas très connu et maintenant il figure dans pratiquement tous les musées importants des États-Unis.  J’aime à croire que son succès individuel ait contribué à stimuler l’intérêt envers l’art contemporain africain en général.  »

Récemment,  Elvira Dyangani Ose a été nommée conservatrice d’art international par la Tate Modern de Londres, se concentrant sur l’Afrique tout en mettant en œuvre le Comité des acquisitions africaines destiné à assister le musée lors de l’achat d’œuvres d’art contemporain venues du continent africain. Il est fascinant de constater que les États-Unis semblent être en tête de la vague d’intérêt manifestée envers l’art africain  ; de nombreux musées à travers tout le pays abritent des collections parfaitement établies d’art africain classique et traditionnel et ont osé s’engager dans le royaume du contemporain au cours de la dernière décennie, du Museum of Fine Arts de Boston, au Detroit Institute of Arts au Michigan en passant par le Nelson-Atkins Museum of Art au Missouri, le Virginia Museum of Fine Arts et le Metropolitan Museum of Art de New York. Le Newark Museum a progressivement déplacé son centre d’intérêt pour se focaliser sur l’art contemporain africain. En 2010, il a ouvert une galerie permanente consacrée aux œuvres d’artistes provenant de sa collection, parmi lesquels Olu Amoda, Osi Audu, Viye Diba, Lalla Essaydi, Atta Kwami et Yinka Shonibare. Clarke ajoute  :  «  un petit nombre d’œuvres contemporaines ont été acquises dans les années 90, c’est il y a environ une dizaine d’années, peu après mon arrivée en 2002, que le musée a commencé à collectionner activement. J’avais profondément le sentiment que nous devions montrer ce que font les artistes aujourd’hui et présenter à nos publics l’importance du rôle contemporain de l’art africain.  »

Le Los Angeles County Museum of Art (LACMA) a placé l’ancienne directrice adjointe et conservatrice en chef du Fowler Museum de l’UCLA  , Polly Nooter Roberts, au poste de curatrice de l’Art africain pour favoriser le lancement d’un programme et mettre en place une galerie consacrée aux arts d’Afrique. Nooter Roberts affirme  :  «  la galerie d’art spécialisée accueillera des expositions tournantes et plusieurs sont déjà en préparation. Notre exposition inaugurale Shaping Power: Luba Masterworks ouvrira en juillet et montrera une sélection de sculptures complétée d’une installation contemporaine due à Aimé Mpane, un artiste congolais qui partage son temps entre Kinshasa et Bruxelles.  »

Tandis qu’une nouvelle génération de collectionneurs africains aguerris est apparue sur l’ensemble du continent africain, l’existence d’institutions majeures collectionnant l’art contemporain fait cruellement défaut. L’Europe et les États-Unis détiennent une grande partie des œuvres d’artistes africains dans leurs musées et collections privées. En Afrique de nombreux musées ont été construits durant la période coloniale et leurs collections sont limitées  ; la  majorité d’entre eux manquent de moyens pour monter des expositions et faire des acquisitions.

Une étape logique à franchir par le continent africain pour assister et créer des institutions serait de mettre en œuvre un programme d’investissement urbain, culturel et social en associant financement public et dotations issues du secteur privé. Il existe une foule d’architectes chevronnés tels que Diébédo Francis Kéré (Burkina Faso), Kunlé Adeyemi (Nigeria) ou Koffi & Diabaté (Côte d’Ivoire), Mphethi Morojele (Afrique du Sud) et Danielle Diwouta Kotto (Cameroun) qui pourraient construire des ouvrages susceptibles non seulement  de valoriser le paysage mais  également de donner un nouvel élan à l’architecture dans de nombreuses villes de l’Afrique entière.

Imaginez encore que quelques-uns des industriels africains les plus fortunés, Aliko Dangote, Folorunsho Alakija, Othman Benjelloun, Patrice Motsepe ou Nassef Sawiris participent au financement de la construction d’un musée d’art contemporain dans chacun de leur pays respectif  ; là encore l’impact ne se limiterait pas au secteur artistique local, son écho sur la scène internationale de l’art serait phénoménal.

 

Bomi Odufunade est directrice de Dash & Rallo, conseil individualisé  international en œuvres d’art spécialisé dans l’art contemporain d’Afrique et de sa diaspora. Elle apporte son assistance tout au long de l’élaboration et de la constitution de collections d’art, ses services s’adressant aux collectionneurs d’art incluant fonds, institutions à but non lucratif et corporations. Bomi a travaillé auparavant chez Thames & Hudson, à la Tate Modern et à la galerie Haunch of Venison de Londres. Elle vit entre Paris, Lagos et New York.

 

Cet article est une version actualisée de celui paru à l’origine dans l’édition spéciale de mai du New African Magazine qui a été publié à l’occasion de la commémoration des 50 ans de l’union africaine OAU (Organization of African Unity).

 

Traduit de l’anglais par Marie Délion

 

 

 

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