Dak'Art 2016

L’urgence, une orientation stratégique plus claire

Un article d'opinion autour de la 12ème édition de la Biennale de l’art africain contemporain...

L’urgence, une orientation stratégique plus claire

Dak'Art 2016, IFAN © Contemporary And

By Aboubacar Demba Cissokho

La 12e édition de la Biennale de l’art africain contemporain (Dak’Art, 3 mai–2 juin 2016) a été, dans son contenu artistique, un grand cru. Mais les questions liées à ses orientations fondamentales et à son statut, soulevées au fil des années, demeurent aussi urgentes tant elles engagent sa viabilité et sa pertinence.

Le Dak’Art 2016 sera «  un énorme succès, qui va changer les choses  ». En conférence de presse, le 26 janvier dernier, pour présenter la liste des artistes sélectionnés pour l’exposition internationale et les grandes lignes de la Biennale, le directeur artistique Simon Njami avait vu très grand. Son objectif était de redynamiser une manifestation dont il disait qu’elle était «  en train de mourir gentiment  ».

Les rapports et bilans à venir diront si le Camerounais a réussi son pari. Pour l’heure, il est intéressant de constater que le contenu de cette douzième édition est à la hauteur des ambitions proclamées, en termes de programmation  : une exposition internationale avec soixante-cinq artistes (dont quatre Sénégalais), six projets spéciaux avec des cartes blanches données à des artistes, et six commissaires étrangers invités avec chacun une exposition. Sans oublier un nouveau secrétaire général, dont c’est la première édition.

À côté, le Off a présenté environ trois cents propositions, confirmant son importance pour Dak’Art. C’est là que vivent le dynamisme et la vitalité de la Biennale, permettant de mettre une lumière unique sur la scène dakaroise. Contrairement à ce que soutiennent certains acteurs culturels soutenant que c’est une biennale des «  étrangers  ».

L’avenir dira aussi si c’est cette nouvelle dynamique qui a fait venir à Dakar un grand nombre d’amateurs d’art, de commissaires, de galeristes et de collectionneurs, mais au vu du public qui a visité les expositions, l’objectif de rendre la Biennale attractive auprès des populations locales n’a pas été atteint. Sur ce point, Dak’Art garde l’image d’un cadre «  select  » réservé à une «  élite  » –  la même  – avertie. D’où la question d’un artiste plasticien sénégalais  : «  Pour qui organise-t-on la Biennale  ?  »

Ce constat d’un public «  étranger  » et «  élitiste  » –  même s’il ne correspond pas tout à fait à la réalité  – a le mérite de poser la problématique essentielle de l’orientation de cette Biennale qui tarde à se donner un second souffle après plus de vingt ans de pratique. En vingt-quatre ans d’existence, certaines leçons n’ont pas été apprises et la confiance des artistes s’est dégradée, à cause d’œuvres perdues, abîmées et non assurées.

La résolution de la question de l’orientation doit d’abord consister en une prise en charge correcte du délai d’organisation de la manifestation. Cette douzième édition a été planifiée entre septembre 2015 et mai 2016. Pour une manifestation qui devrait normalement être préparée pendant deux ans –  comme son nom l’indique  – elle a été en réalité mise en œuvre en six ou sept mois. Il est presque irréaliste de réaliser un projet aussi gigantesque sur une période aussi courte.

Sans parler du budget de la biennale –  environ 350  millions de francs CFA par an (533  mille euros)  –, deuxième point qui illustre l’absence d’une orientation claire  : en 2014, la Biennale avait enregistré un déficit, et les commissaires n’avaient été payés qu’en décembre  2015. La ligne budgétaire de l’année  2015 a été essentiellement consacrée à éponger les dettes. Le transporteur a bloqué les œuvres parce qu’il n’avait pas été payé. Tout cela a un impact négatif sur l’image et la réputation de la Biennale et, au-delà, du pays. Au plus haut sommet de l’État, les autorités ne sont pas la hauteur des enjeux politiques, culturels et économiques de la Biennale.

Trois rapports ont été soumis après les biennales précédentes, sans réponse des autorités. On fait toujours appel à des transporteurs et transitaires non spécialisés. Les besoins ne sont pas pris en compte dans la logistique, la planification, la gestion, la production (des espaces prêts à temps, avec des locations faites et des équipes techniques à pied d’œuvre, des billets d’avion réservés). Avant de confirmer un artiste dans la sélection, il aurait fallu s’assurer que ses œuvres pourraient venir, faire un devis avec le transporteur et l’assurance. L’artiste ivoirien Watts Ouattara, qui réside à New York, était à Dakar, mais n’ayant pas vu ses œuvres –  trop chères à faire venir  !  –, il a dessiné sur les murs du palais de Justice qui abritait l’exposition internationale.

Le jury a dû délibérer à 6 heures du matin, à quatre heures de l’ouverture officielle de la Biennale. Pour une exposition internationale où 60  % seulement des œuvres étaient installées. Il fallait respecter la «  marque  » du Dak’Art consistant à présenter les prix devant le chef de l’État. Il y avait donc des artistes dont on n’avait pas vu les œuvres. Le seul artiste primé présent était le Sénégalais, les trois autres ayant reçu le leur par procuration. C’est la première fois que des artistes récompensés ne sont pas là lors de la cérémonie d’ouverture.

À l’avenir, pour assurer une meilleure organisation d’une biennale à hauteur d’homme, il y a lieu d’élaborer un projet moins ambitieux mais dense, avec un nombre réduit d’artistes, un commissaire et ses équipes, des spécialistes en logistique. Pour cette édition  2016, il a été difficile de trouver le programme du Off  ; le catalogue, au lieu de coûter 10  000 francs CFA, coûtait 30  000 francs CFA (environ 45  euros), parce qu’il avait été imprimé en Europe  ! Et non au Sénégal…

L’opinion sénégalaise est dans une sorte de déni, refusant de voir la réalité. Elle pense, à chaque édition, que le Dak’Art est un succès mondial. Mais le site de la Biennale n’est presque jamais à la hauteur, changeant régulièrement. Dans le Comité d’orientation –  pléthorique s’il en est  – de trente personnes, il n’y avait pas plus d’un membre ayant une expérience, une galerie et une compréhension globale des enjeux.

«  Le premier responsable, c’est l’État, parce que les secrétaires généraux, les comités scientifiques, etc. ont les mains liées si on ne leur donne pas carte blanche  », avait dit le directeur artistique Simon Njami lors de sa conférence de presse du 26  janvier  2016. Le fait est qu’il y a un réel déséquilibre entre les grandes ambitions des pouvoirs publics pour le Dak’Art et le niveau des fonctionnaires qui ne suivent ni avec les compétences ni avec les moyens.

Dans son discours d’ouverture de la douzième édition, le 3  mai dernier, le président sénégalais Macky Sall, avait «  engagé  » le ministère de la Culture à «  approfondir la réflexion sur le statut de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar  », et promis une augmentation d’environ 60  % du budget. Il serait salutaire que les résultats de ce travail sur le devenir du Dak’Art intègrent une vision claire de l’orientation voulue pour la manifestation, parce qu’à travers elle se déploie une certaine image du pays organisateur, le Sénégal.

 

 

Aboubacar Demba Cissokho est un journaliste sénégalais spécialisé ”Arts et Culture”. Il travaille depuis 2001 à l’Agence de Presse sénégalaise (APS), à Dakar où il réside.

 

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