Abdias do Nascimento

À l’époque où les généraux régnaient et où la culture noire importait moins

Érudit afro-brésilien et homme de théâtre radical, Abdias do Nascimento gêna la présence brésilienne lors de trois festivals importants consacrés à la culture noire africaine.

À l’époque où les généraux régnaient et où la culture noire importait moins

Arrivée de Senghor à l'ouverture du Festival mondial des nègres, Dakar, 1966. Courtesy de l'archive PANAFEST

By Cédric Vincent

Pastinha já foi à África / Pra mostrar capoeira do Brasil (Pastinha went to Africa / to show capoeira of Brazil).

Ces paroles sont extraites de «  Triste Bahia  », une chanson de Caetano Veloso de l’album Transa (1972). Elles évoquent le déplacement de Vicente Pastinha, un maître de la capoeira, à Dakar en 1966, où se tenait le premier Festival mondial des arts nègres (FESMAN), un événement culturel sans précédent sur le sol africain. Au cours de trois semaines, plus de deux mille cinq cents artistes, musiciens, universitaires et écrivains sont réunis à Dakar. La liste des participants se lit comme un who’s who des plus grandes figures culturelles noires du début et du milieu du XXe  siècle. Des délégations représentaient des pays d’Afrique mais aussi d’Europe, des États-Unis et donc du Brésil, qui était le seul représentant de l’Amérique du Sud. L’objectif était ambitieux  : le Festival se voulait tout à la fois l’expression et le vecteur d’une société nouvelle aux prises avec les promesses des indépendances africaines. Le projet avait pour socle la négritude, philosophie proclamant l’autorité de la «  culture noire  » à l’échelle mondiale. «  Pour la défense et l’illustration de la négritude  »  : ainsi le président-poète sénégalais Léopold Sédar Senghor caractérisait-il avec gravité ce projet dans son discours inaugural.

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The play La Tragédie du roi Christophe by Aimé Césaire. Festival mondial des nègres, Dakar, 1966. Courtesy of PANAFEST archive

La pièce La Tragédie du roi Christophe par Aimé Césaire. Festival mondial des nègres, Dakar, 1966. Courtesy de l’archive PANAFEST

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Vicente Pastinha était l’un des quarante-trois membres que comptait la délégation brésilienne, parmi lesquels se trouvaient, en plus de performers de capoeira, des chanteurs, des peintres, des sculpteurs, des danseurs d’une école de samba de Rio de Janeiro. Agnaldo dos Santos remporta le prix de la sculpture du Festival. Sur un plan diplomatique et commercial, la participation du Brésil correspondait à un rapprochement du pays, alors sous la dictature militaire, avec des pays de l’Afrique de l’Ouest, et notamment le Sénégal. Une absence fut cependant très remarquée malgré cette effervescence.

On attendait la venue d’Abdias do Nascimento, le fondateur du Teatro Experimental do Negro (Théâtre Expérimental du Noir ou TEN) et le divulgateur de la négritude senghorienne au Brésil. La troupe du TEN avait même préparé la mise en scène d’une pièce pour l’occasion. Ce Festival était après tout une formidable opportunité pour les artistes afro-brésiliens de valoriser leur héritage avec l’Afrique et contribuer à ce projet d’une communauté globale à travers le partage de la négritude. Mais ils ne purent finalement pas participer pour cause de censure du gouvernement brésilien, comme le fit savoir Nascimento dans une lettre ouverte publiée pendant le Festival dans l’hebdomadaire sénégalais L’Unité africaine, puis reprise dans les pages de l’influente revue Présence Africaine. Il y dévoilait les dessous politiques de l’affaire  : les organisateurs de la participation brésilienne avaient exclu les Afro-Brésiliens les plus militants de la préparation au Festival. Le TEN exista jusqu’en 1968, moment où Nascimento, acculé par le régime, dut s’exiler aux États-Unis. Il y noua des liens forts avec des leaders de mouvements activistes de défense des droits civiques et contre les discriminations raciales.

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Cover of a magazine. FESTAC 77, Lagos, 1977. Courtesy of PANAFEST archive

Couverture du magazine concernant le FESTAC 77, Lagos, 1977. Courtesy de l’archive PANAFEST

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La scène se répéta en 1977 au FESTAC de Lagos, le deuxième Festival mondial des arts nègres, où le Brésil avait envoyé une délégation remarquée de diplomates, d’intellectuels et d’artistes, de danseurs, musiciens et cinéastes. La publication officielle de la participation brésilienne célébrait l’intégration pacifique de la culture et de la population africaine à la nation, qui se manifestait à Lagos par des manifestations culturelles telles que la samba, la musique ou les religions afro-brésiliennes. Nascimento était là aussi. Cependant il ne devait pas sa présence au Brésil, il était professeur invité à l’université de Lagos, lui offrant sans doute une liberté de parole dont il usa ardemment pour affirmer sa dissidence dans une intervention intitulée «  Racial Democracy in Brazil: Myth or Reality  ?  ». On devine la réponse qu’il donna. Elle révéla l’évolution de sa pensée, marquée par l’influence des mouvements panafricaniste et afrocentristes africains-américains, reprenant à son compte notamment le thème de la «  colonisation intérieure  ».

Il y a encore une suite à cette histoire –  en forme de conclusion. On retrouve le nom d’Abdias do Nascimento sur la liste des membres du comité consultatif du troisième Festival mondial des arts nègres à Dakar en 2010. Il meurt un an plus tard à l’âge de 97  ans.

 

 

Cédric Vincent est anthropologue, postdoctorant au  Centre Anthropologie de l’écriture (EHESS-Paris) où il codirige le projet «?Archive des festivals panafricains?» soutenu par la Fondation de France.

 

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