L'exposition extraordinaire "53 Echoes of Zaire" à Londres

L’histoire n’est jamais «juste une histoire»

« Echoes of Zaire: Popular Painting from Lubumbashi, DRC » – une exposition remarquable à Londres explore la mémoire et l’histoire au Congo. Liese Van der Watt s’est rendue sur place.

L’histoire n’est jamais «juste une histoire»

Conflit Kasavubu – Lumumba - Tshibumba Kanda-Matulu

By Liese Van der Watt

Dans les années  1970, un peintre congolais du nom de Tshibumba Kanda Matulu commença à peindre une histoire de ce qui était à l’époque le Zaïre. Cette histoire, comme l’a souligné l’anthropologue Johannes Fabian lorsqu’il travailla sur un livre avec Kanda Matulu quelques années plus tard, n’était pas «  juste une histoire, mais un débat et un appel  ».

Bien sûr, l’Histoire n’est jamais «  juste une histoire  », et l’extraordinaire exposition «  53  Echoes of Zaire  » qui vient de s’ouvrir à Londres et présente quelques-unes des peintures de Kanda Matulu et de quatre autres peintres originaires du Congo, montre manifestement que la version de l’Histoire de ces peintres est un appel passionné et brûlant. Il exprime leur point de vue sur cette même Histoire, l’émaillant de récits visant à combler le vide laissé par les versions officielles de l’Histoire qui circulaient à l’époque.

La commissaire de l’exposition est Salimata Diop de l’Africa Centre de Londres, en coopération avec la galerie Sulger-Buel Lovell. Cinquante-trois peintures des artistes Louis Kalema, C.  Mutombo, B.  Ilunga, Ndaie et Tshibumba Kanda Matulu sont exposées. Elles appartiennent au collectionneur belge Etienne Bol dont feu le père Victor Bol avait réuni ces travaux lors de séjours au Zaïre dans les années  1970.

Le 30 juin 1960, Zaïre indépendant - Tshibumba Kanda-Matulu

Le 30 juin 1960, Zaïre indépendant – Tshibumba Kanda-Matulu

Ces artistes sont tous autodidactes et l’exposition montre une série de travaux exécutés dans un style proche de ce que l’on désigne parfois par le nom d’«  École populaire de la peinture du Zaïre  ». Le peintre le plus connu de cette prétendue école est sans doute Chéri Samba qui a connu une célébrité soudaine après avoir participé à l’exposition «  Magiciens de la Terre  » au Centre Pompidou en 1989. Ses peintures sont réalisées sur des sacs de farine plutôt que sur des toiles, souvent dans une palette de gouache limitée, à l’aide d’épais pinceaux. Mais tandis que Samba et ses collègues de Kinshasa tendent à enregistrer les événements quotidiens, les travaux présentés à l’exposition actuelle proviennent tous de peintres des alentours de Lubumbashi au Sud, avec, pour point de mire, des thématiques historiques. Ce choix est sans aucun doute le résultat du regard acéré du collectionneur. Le catalogue nous révèle que ces travaux ont été réalisés à l’attention d’un public local et en grande partie vendus aux gens de la région, ce qui laisse supposer que ces artistes ont probablement aussi fait des peintures de genre pour une clientèle locale.

Congo Belge II - Kalema

Congo Belge II – Kalema

L’exposition s’accompagne d’un catalogue qui inclut les reproductions de toutes les peintures, mais manque malheureusement à nous révéler nombre d’informations sur les œuvres individuelles. Il est vrai que l’on ne dispose que de très peu d’éléments biographiques sur ces artistes, et aucun d’eux n’ont pu participer à la préparation de cette exposition. Nous ignorons même s’ils sont toujours en vie. Les efforts pour joindre Kanda Matulu –  de loin le plus habile du groupe  – se sont soldés par un échec. Ses dernières œuvres datent de 1982–1983. Mais le catalogue n’explique ni ne contextualise des images ou des événements individuels, et c’est aux visiteurs de reconstituer par eux-mêmes l’Histoire. C’est dommage, lorsque l’on sait que ces œuvres ont clairement pour objectif d’informer et d’éduquer ceux qui les regardent. Il serait par conséquent judicieux de participer à ce projet en disposant de davantage de connaissances sur les incidents commémorés ici et leur signification dans cette histoire indigène du Congo.

Il est très intéressant par exemple de savoir que l’universitaire et anthropologue cité ci-dessus, Johannes Fabian, a publié un livre en 1996 regroupant une série de cent œuvres historiques de Tandu Matulu, intitulé Remembering the Present. Ces derniers sont devenus amis en  1973 alors que Tandu Matulu avait près de27  ans et besoin d’un sponsor pour concrétiser son aspiration à raconter l’histoire du Zaïre dans une série de peintures plutôt que de se limiter aux tableaux de genre si populaires auprès du public local. Fabian raconte que, lorsqu’ils travaillaient à ce projet entre 1973 et 1974, il «  a trouvé parmi mes collègues expatriés quelques acheteurs de diverses versions courtes de cette série  ». C’est probablement ainsi que Bol a acquis sa collection.

Lumumba 1960 - Ndaie

Lumumba 1960 – Ndaie

Plusieurs œuvres du livre de Fabian se retrouvent dans la collection de Bol, faisant apparaître clairement que les artistes ont reproduit les mêmes images, en se concentrant sur des épisodes clés. L’exposition est organisée autour de cinq thématiques représentant la colonisation belge, les mines autour de Shaba (aujourd’hui Katanga), l’indépendance du Zaïre, les moments de conflit de l’après-indépendance et le passé précolonial. Ces peintres dépeignent clairement un système partagé de mémoire. La même image surgit sans cesse sous le titre «  Congo Belge  »  : un officiel blanc dans un uniforme blanc de style safari surveillant un homme noir en uniforme, fouet à la main, fouettant un sujet gisant à terre devant lui. Souvent, des femmes en habits traditionnels assistent à la scène et, sur de nombreuses œuvres, des sujets noirs portent des chaînes autour de leurs cous. Ces images véhiculent une telle horreur qu’elles sont enracinées dans l’imaginaire populaire  ; et cette mémoire devient l’Histoire d’un peuple.

Autre sujet populaire repris par quelques-uns des artistes, la décapitation de Msiri, le roi de Katanga, par l’armée du roi Leopold en 1891. Certaines histoires européennes officielles publiées en France racontées par la suite prétendent que Msiri aurait été tué par balle, sa tête mise sur une pique en guise de leçon à l’attention de son peuple. L’histoire indigène orale raconte que le corps de Msiri leur a été retourné sans tête et personne ne sait ce qu’il est advenu de celle-ci. Les renseignements sont imprécis, mais il est clair que cet épisode joue un rôle important dans le récit populaire de l’occupation coloniale et de la résistance.

La Tête historique de M’siri, Msiri fût coupé la Tête - Tshibumba Kanda-Matulu

La Tête historique de M’siri, Msiri fût coupé la Tête – Tshibumba Kanda-Matulu

Les œuvres de Kanda Matulu se distinguent clairement du lot, révélant si souvent un regard exceptionnel sur les détails et un don pour l’observation  : les uniformes de colons officiels sont peints minutieusement dans son Colonie Belge 1885–1959 (également reproduit dans le livre de Fabian), les bâtiments révèlent un sens architectural de la structure et ses nombreux portraits de Lumumba sont d’une ressemblance sans équivoque. Les portraits noir et blanc de Lumumba en particulier –  probablement dérivés de photographies de journaux  – font partie des œuvres les plus intéressantes de l’exposition et révèlent le vif intérêt de Matulu pour l’esthétique et la représentation. Ses œuvres sont richement annotées, de manière semblable à celles de Cheri Samba, afin d’informer son public sans ambiguïté aucune sur ce à quoi il fait référence et la façon dont ces images devraient être interprétées. Ce sentiment –  si étranger au monde de l’art occidental, et qui est probablement la raison pour laquelle Chéri Samba demeure si populaire à l’Ouest  – révèle combien ces œuvres visent à servir de preuves et de commémoration, à apporter un témoignage d’une Histoire trop volontiers oubliée.

Pour cette seule et unique raison –  et bien d’autres liées à la cohésion des œuvres  –, on espère que la collection sera vendue à une institution accessible au public. Elle constitue un puissant document nécessitant d‘être vu dans son intégralité.

 

L’exposition «  53 ECHOES OF ZAIRE: POPULAR PAINTING FROM LUBUMBASHI, DRC  » est à voir du  27  mai au 30  juin  2015 à la galerie  Sulger-Buel Lovell, Londres, RU

 

Liese Van Der Watt est un écrivain d’art sud-africain basé à Londres.

 

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