YaPhoto 2019

La persistance comme solution

En ce mois de mars, des photographes locaux et internationaux ont convergé vers Yaoundé pour la troisième édition de YaPhoto. Entre vernissages, propositions éducatives et débats, ils ont partagé et échangé des idées autour du concept de « rémanence ». L’événement a été conçu en hommage à feu la curatrice nigériane Bisi Silva. Cette année, le curateur indépendant Yves Chatap a axé le festival sur des questions tournant autour de la persistance artistique en dépit des pertes.

Wilfried Nakeu et Chaima Zaafouri, Carrefour. Photo: Daniel Beloumou

Wilfried Nakeu et Chaima Zaafouri, Carrefour. Photo: Daniel Beloumou

By Monica Nkodo

« Le défi de l’engagement local est celui qui complique la mise en œuvre des biennales dans n’importe quelle ville, périphérique ou non. Cependant, il est urgent d’aborder cette question dans des contextes où des populations locales très nombreuses ne sont pas habituées à l’art contemporain et aux divers moyens qu’il détient pour donner un sens aux histoires passées et aux réalités actuelles. » Ce propos de Bisi Silva (1962-2019), tenu à la faveur de la 10e édition de la Biennale africaine de la photographie de Bamako en 2015, a servi de base de réflexion aux organisateurs du YaPhoto 2019. Cette considération de la curatrice nigériane de regrettée mémoire traduit en quelques mots une évidence visible du paysage artistique camerounais.

M’hammed Kilito, Cinema Camera, 2018. Photo: Daniel Beloumou

L’art contemporain est partout, aussi bien en termes d’occupation du temps et de l’espace, mais très peu de personnes notent son existence si elle n’est pas soulignée par la créativité d’artistes ou de curateurs. « YaPhoto », entendez « Yaoundé Photographie », la quinzaine dédiée depuis quatre ans à la photo contemporaine dans la capitale du Cameroun, se positionne comme un éducateur des consciences, capable de réveiller l’intérêt de tous les publics. Le combat est difficile, mais le déploiement d’une équipe dynamique emmenée à l’origine par les curateurs camerounais Christine Eyene et Landry Mbassi, bâtit au fil des années une réputation de plus en plus solide à ce festival, dans un profil camerounais où l’art en général peine à trouver sa place. Pour cette troisième édition (après les deux premières : « Ce que nous voyons » en 2016 et « Figurer le présent » en 2017), la direction artistique a été confiée à Yves Chatap.

Ce curateur indépendant, critique d’art et éditeur camerounais de renommée internationale, a baladé son œil curieux sur le continent et au-delà, à la recherche d’images embrassant le thème général de ce YaPhoto 2019, « Rémanences ».

William Gaye. Courtesy YaPhoto.

La rémanence, selon la définition classique, est la persistance d’un état après la disparition de sa cause. En résumé, l’effet reste toujours aussi vivant après la fin, le terme, la mort de ce qui est à son origine. Pour Yves Chatap, le rapprochement entre le travail abattu par Bisi Silva qui a laissé une empreinte forte, indélébile, pour le rayonnement de l’art africain dans le monde entier, et l’idée de rémanence vont de pair. Un bel hommage auquel les artistes nationaux et internationaux sélectionnés ont répondu avec classe et subtilité.

Des expositions inspirantes

« L’image rémanente atteste de la métamorphose tout en authentifiant ce qui n’est pas toujours visible, tout en réactivant le souvenir de l’événement. » Ce crédo du directeur artistique Yves Chatap a été suivi par tous. Évidemment, chaque artiste du YaPhoto a su montrer sa détermination à dévoiler son côté rémanent. L’échappée entre le visible et l’invisible se déroule du 13 au 31 mars 2019 dans six emplacements, parmi lesquels la Galerie d’art contemporain de Yaoundé, le Musée national, les centres culturels allemand et français.

Chantal Edie and Zacharie Ngnogue, Unimaginable, 2019. Photo: Daniel Beloumou

Dans ce thème de « Rémanences », la temporalité joue une grande partition. Le temps, l’éternel questionnement qu’il soulève, cette frontière ou absence de frontière entre le passé, le présent et le futur, jaillissent des clichés. Le jeune photographe Lionel Richy Ebongue (Cameroun) fixe un moment de méditation dans Occupation, sa série de quatre photos présentant un jeune homme prisonnier de sa chambre et de son téléviseur. La silhouette transparente du personnage principal marque le mouvement lent, monotone, effectué dans cette zone circonscrite entre son lit et l’appareil. Quand cet artiste choisit d’exprimer la notion d’ennui, Chantal Edie et Zacharie Ngnogue (Cameroun) explorent la douleur. Celle de perdre son enfant. Sur des clichés en noir et blanc, le visiteur de l’expo à la Galerie d’art contemporain de Yaoundé parcourt le drame vécu par ce couple de photographes. Au début de la série Unimaginable, une femme enceinte souriante. Au bout, une femme en larmes tenant la photo de sa fille décédée. « Nous voulions révéler au monde les conséquences psychologiques de la perte d’un enfant, mais aussi la solitude des parents endeuillés », souligne Chantal Edie.

(left) Blaise Djilo, concertations; (center) Georges Tankam, Désordres urbains; (right) Ditoma Kadoule, Medellin. Installation view YaPhoto 2019. Photo: Daniel Beloumou

Mbadimma Chinemelum (Nigeria) enseigne comment rester positif dans Corridors of Hope, en réalisant une opposition entre des bateaux à l’arrêt, abandonnés sur le port, et d’autres bateaux, moteurs vrombissant sur les flots. L’image d’un homme filmé de dos redressé sur une pirogue avec pour seuls horizons le fleuve et la forêt, illustre la force d’affronter des challenges quand la souffrance croit avoir balayé tout espoir. Sibusiso Tlhabadira (Afrique du Sud) joue sur l’occupation de l’espace. La répétition de la couleur, rouge ici en l’occurrence, sur des photos en noir et blanc pour raconter Johannesburg, sa ville de résidence. Dans une métropole animée, Sibusiso Tlhabadira parvient à saisir des instants de calme et de paix. Deux femmes âgées face au portrait de deux jeunes filles pour établir le paradoxe du temps qui passe en laissant des rides en guise de traces.

Ana Bloom. Photo: Daniel Beloumou

Au YaPhoto 2019, les histoires sont aussi émouvantes que rémanentes, qu’elles proviennent d’Afrique du Sud, d’Angola, du Cameroun, d’Espagne, des États-Unis, de France, du Mali, du Maroc, du Nigeria, de la RDC ou du Togo. Entre vernissages, formations et débats, la quinzaine de la photographie de Yaoundé poursuit son ascension.

 

YaPhoto est encore ouvert jusqu’au 31 mars 2019.

 

Monica Nkodo est une journaliste vivant et travaillant au Cameroun.

 

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