Exhibition Histories

Tendances et Confrontations

Par son approche éclectique, l'exposition Tendances et Confrontations de 1966 offrait des instantanés des différentes scènes artistiques africaines et de l'art contemporain dans sa phase de formation.

Installation view of Tendances et Confrontations, Palais de Justice, Dakar 1966. In the front

Installation view of Tendances et Confrontations, Palais de Justice, Dakar 1966. In the front "Le Bélier" by Christian Lattier, 1965.

By Cédric Vincent

Dans cette série, C& revisite les expositions les plus discutées, les plus appréciées, les plus détestées des dernières décennies, celles qui ont suscité la réflexion et qui ont changé la donne en matière d’art contemporain de perspective africaine. Cette fois-ci, regardons de plus près l’exposition Tendances et Confrontations de 1966 organisée par Iba N’Diaye.

En 2016, la 12eme édition de Dak’art a investi l’ancien Palais de Justice de la ville. Pour l’occasion, la façade portait l’inscription « La cité dans le jour bleu ». Outre l’exposition, ce titre annonçait la transformation de ce lieu délabré, laissé à l’abandon, en un espace d’exposition fonctionnel, au point de voler parfois la vedette aux œuvres présentées. Ce n’est pas la première fois que ce bâtiment peu orthodoxe fut remarqué dans l’histoire de l’art contemporain au Sénégal. En 2004 déjà, Hans Ulrich Obrist avait choisi d’y installer sa contribution à la biennale. Et surtout, en avril 1966, le Palais de Justice avait prêté ses locaux à l’exposition d’art contemporain du Premier festival mondial des arts nègres, intitulée Tendances et Confrontations. Cette exposition, dont la préparation avait été supervisée par l’artiste sénégalais Iba N’Diaye, constitua la première tentative de rendre un point de vue panoramique de l’art contemporain (pan)africain, avec tout ce que cela comportait de tâtonnements dans cette période de l’après Indépendance.

Cover of the catalogue

Très peu de documentation subsiste de cette exposition cependant. Quelques photos circulent mais les archives sont incomplètes. Le catalogue est difficilement accessible et, lorsqu’on met la main dessus, ses informations se révèlent peu fiables. Et nous ne sommes pas aidés par la couverture médiatique du festival qui l’a plutôt remisée dans l’arrière-cour. Ceci dit, il est possible d’avoir une vue d’ensemble de l’exposition et de ses limites.

Des œuvres de presque 200 artistes de quelque 25 nationalités y étaient présentées, parmi lesquelles Congo-Brazzaville (actuel République du Congo), Congo-Léopoldville (actuel République Démocratique du Congo), Côte d’Ivoire, Ethiopie, Madagascar, Maroc, Nigeria, Sénégal, mais aussi Brésil, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Haïti. Les grandes figures artistiques de l’époque étaient présentes. Le sculpteur ivoirien Christian Lattier remporta le Grand prix des arts plastiques du festival. Compagnon de route de la revue parisienne Présence Africaine, le nigérian Ben Enwonwu ne semble pas y avoir exposé, mais il défendit au colloque sa vision de l’art marquée par une vigueur nationaliste. Son rival, Felix Idubor, faisait partie des seize artistes du Nigeria exposés, parmi lesquels figurait la jeune garde : les trois membres principaux de l’ancienne Zaria Art Society, Demas Nwoko, Uche Okeke et Bruce Onobrakpeya défendaient une nouvelle approche de l’art appelée « Natural Synthesis ». Les toiles du soudanais Ibrahim el-Salahi côtoyaient celles des peintres éthiopiens Skunder Boghossian et Gebre Kristos. Ce dernier avait été distingué par le prix Haïlé Sélassié en 1965 pour être « l’un des principaux introducteurs de l’art non figuratif » en Ethiopie.

L’espace alloué n’était pas des plus commode : le grand hall et son atrium à ciel ouvert avaient été aménagé avec des cloisonnements faits de panneaux mobiles permettant d’isoler l’exposition tout en maintenant la libre circulation du personnel et le maintien de l’activité des services. L’accrochage des œuvres était réparti par pays, et non par affinités esthétiques, par choix thématiques ou formels. Si cette compartimentation pouvait induire des comparaisons entre scènes artistiques, elle rendait visible, malgré tout, une fluidité inattendue des artistes du fait que le lieu de résidence pouvait primer sur le lieu d’origine. Ainsi, Gerard Sekoto représentait non pas son Afrique du Sud natale (qui n’était par ailleurs pas conviée au festival) mais la France. La présence des peintres martiniquais Mathieu-Jean Gensin et Louis Laouchez au sein de la section dédiée à la Côte d’Ivoire pouvait davantage surprendre, mais elle annonçait le rôle décisif que les artistes antillais allaient jouer sur la scène ivoirienne dans les années 1970.

Installation view of Tendances et Confrontations, Palais de Justice, Dakar 1966. In the front « Orchidée » by Christian Lattier, 1962.

Son accueil ne fut pas dénué de débats. Au milieu de cette tumultueuse manifestation multidisciplinaire que représentait le festival, Tendances et Confrontations n’avait pas pu échapper à la comparaison avec l’exposition de chefs-d’œuvre d’art ancien située au Musée dynamique. Et les quelques commentaires à son sujet faisaient état d’une exposition confuse. Iba N’Diaye, lui-même, a regretté quelques années plus tard l’« hétérogénéité » des œuvres qui en avait perturbé l’appréhension. On peut comprendre l’embarras du visiteur. Le Gabon par exemple était représenté par des sculpteurs artisanaux sur bois. Peu de points de contact avec les dix peintres du Sénégal (parmi lesquels figuraient Walid Diallo, Ibou Diouf, Mor Faye, Papa Ibra Tall ou encore Iba N’Diaye) dont les toiles tumultueuses avaient elles-mêmes peu d’affinités avec la figuration d’un Guy-Léon Fylla pour le Congo-Brazza. On aurait pu d’ailleurs s’attendre à retrouver ce pays représenté plutôt par les artistes du Centre d’art africain de Poto-Poto dont le fondateur, Pierre Lods, était alors professeur à l’école des arts de Dakar. Mais peut-être ceux-ci étaient-ils trop associés à la période coloniale. La conservation du terme « salon » d’art contemporain par lequel était désigné Tendances et Confrontations lors de ses premières occurrences dans les archives – avant d’être corrigé par « exposition » – aurait peut-être permis de prévenir des impressions trompeuses quant au manque de cohérence de la sélection.

Un début d’explication à cette perception d’hétérogénéité se trouve précisément dans les conditions de sélection. En effet, chaque délégation nationale se chargeait du choix de « ses » artistes. Et chacune faisait preuve d’une compréhension fort différente des œuvres à qualifier de « contemporaines ». Les larges disparités – de l’artisanat d’auteur à la peinture sur toile abstraite – témoignent de l’inconfort dans lequel la catégorie d’art contemporain s’aventurait alors sur des scènes artistiques plus ou moins structurées. Et c’est sur ce point que Tendances et Confrontations montre tout son intérêt. Plutôt que d’y chercher un panorama prescriptif de l’art du continent, elle renseigne d’un instantané des scènes artistiques et d’un art contemporain en formation.

 

Cédric Vincent est docteur en anthropologie, professeur de théorie de l’art à l’École supérieure d’art et design de Toulon. Il co-dirige le projet PANAFEST, dont est extraite l’exposition « Dakar 66 : Chronique d’un festival panafricain » (Musée du Quai Branly, Paris, 2016).

 

 

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