A review by Sean O’Toole

Une somptueuse pagaille

A new series of exhibitions at the Palais de Tokyo highlights the role of the curator.

Installation view, Serge Alain Nitegeka. Photo : André Morin.

 

Le commissaire d’exposition, le «  curateur  », ce charmeur d’artistes grandiloquent, administrateur d’objets et chroniqueur d’idées et de positions, est le thème central de Nouvelles Vagues, une vitrine tentaculaire d’œuvres avant-gardistes nouvelles, récentes et parfois d’époque actuellement à l’affiche du Palais de Tokyo. Proche de l’esprit biennale, cette extravagance aux formes multiples propose 21  expositions organisées par un large éventail de jeunes curateurs indépendants, certains travaillant seuls, d’autres en collaboration. Deux Sud-Africains, Anthea Buys, ancien commissaire de la National Gallery de Cape Town, et Mikhael Subotzky, jeune photographe documentaire de Johannesburg lauréat de nombreux prix, sont les seuls commissaires africains invités à participer à ce projet qui se prolonge en une série d’expositions hors site dans plus d’une trentaine de galeries parisiennes.

Le duo, qui avait préalablement travaillé ensemble sur Retinal Shift, le livre publié par Subotzky en 2012 chez Steidl, a eu l’idée de présenter un travail rendant compte de la notion de structure au sens large, comme «  d’un phénomène relevant à la fois du volumétrique et du conceptuel  ». Sur la base de cette idée générative sortant du contexte provincial, Buys et Subotzky ont pu sélectionner des artistes d’époques et d’horizons différents. Intitulée This House, cette exposition comprend le court-métrage Conical Intersect de Gordon Matta-Clark (1975), qui documente l’intervention physique de l’artiste américain aujourd’hui disparu sur un bâtiment à l’abandon, situé à proximité (à l’époque) du Centre Georges Pompidou alors en construction.

This House présente également une pièce récente composée en partie de textes de l’artiste irano-norvégien André Tehrani, de même que de nouveaux travaux sur commande d’Alexandra Makhlouf, de Magnhild Øen Nordahl et de Serge Alain Nitegeka, jeunes artistes venant respectivement d’Afrique du Sud, de Norvège et du Burundi. Le titre de l’exposition est tirée d’une phrase lue par Moses Lamani, un des deux guides accompagnateurs interviewés dans Moses and Griffiths, un film projeté sur quatre écrans réalisé par Subotzky en 2012. Fil conducteur de cette exposition, la première du film a eu lieu au National Arts Festival de Grahamstown 2012, une ville universitaire éloignée du Cap-Oriental.

Tourné entièrement à Grahamstown, Moses and Griffiths propose une nouvelle lecture impressionniste de la communauté blanche installée dans cette enclave historique xhosa, située sur le bord de mer oriental de l’Afrique du Sud, tout près de Mvezo, la ville qui a vu naître Nelson Mandela. Leitmotiv prépondérant du film, l’architecture est présentée de deux manières  :  une chambre claire (camera lucida) victorienne, et un ancien centre culturel moderniste accompagné d’un monument commémorant l’arrivée des colons anglais en 1820.

Parmi les autres œuvres proposées, certaines s’attachent également à démontrer le lien inextricable existant entre l’architecture et l’idéologie. Le travail d’assemblage de textes d’André Tehrani, The Letter V in Various Media 1963  –  1998 (2012), offre un collage délirant de fiction postmoderniste et idées situationnistes, dans lequel Benny Profane, le protagoniste du premier roman de Thomas Pynchon, V. (1963), prend les traits d’un flâneur parisien dans un cut-up narratif.

Le travail de Serge Alain Nitegeka aurait dû étreindre l’idée des deux commissaires, mais s’oriente au final vers d’autres cieux. En 1993, Nitegeka fuit le Burundi avec les siens pour rejoindre le Rwanda. Une dizaine d’années plus tard, et après des séjours en République démocratique du Congo et au Kenya, il s’installe en l’Afrique du Sud où il perfectionne une pratique à la fois populaire commercialement et agile en termes conceptuels. Ses impressionnantes installations in situ, dont l’accès est souvent difficile, sont davantage représentatives de cette dernière tendance dans son travail.

Malheureusement, deux institutions parisiennes se sont disputées le même type d’œuvres de Nitegeka pour leurs vernissages coïncidant le même jour. La maison rouge, un musée privé près de Bastille  –  où l’on peut actuellement visiter My Joburg, une grande exposition collective se consacrant à la capitale économique sud-africaine  –, a au final remporté la mise. Pour ses débuts au Palais de Tokyo, Serge Alain Nitegeka s’est résolu à construire trois structures voûtées suspendues portant sa signature noire. Pour convaincre, l’art laisse rarement la place au compromis  :  l’installation de Nitegeka ne traduit aucunement la gêne ou l’idée d’errance que l’artiste embrasse avec ce type d’œuvres in situ.

Magnhild Øen Nordahl  –  artiste norvégienne dont le travail laisse parfois découvrir des structures géométriques saisissantes arborant des couleurs primaires claires qui s’inspirent en partie de sa rencontre, à ses débuts, avec le duo suisse Lang/Baumann  –, présente (2012), une installation sculpturale conçue pour le lieu se déclinant sous la forme de quatre plans rectangulaires et rhomboïdaux, adoptant chacun une couleur peinte uniforme, bleu, gris, jaune et violet. L’artiste a exposé une version précédente de cette œuvre à la Tin Sheds Gallery, dans le cadre du programme parallèle de la biennale de Sydney, Australie, en 2012.

Alexandra Makhlouf est une artiste travaillant à Johannesburg, lauréate par deux fois du prestigieux Martienssen Prize de l’Université du Witwatersrand. Elle a créé une installation à base de dessins évolutive. Tout comme Serge Alain Nitegeka, Alexandra Makhlouf travaille principalement avec la couleur noire. Pourtant, en choisissant d’utiliser de l’iode, elle a décidé de donner à son œuvre un caractère éphémère puisque ses dessins à l’encre noire finiront par s’évanouir et disparaître.

Annoncée comme une exposition discrète dans le cadre d’une large présentation d’expositions indépendantes les unes des autres, This House s’inscrit dans une réflexion sur le rôle et la place du commissaire d’exposition comme agent de change autonome. Suivant de près la Fondation Prada présentant à nouveau à Venise, When Attitudes Become Form, qui revisite l’exposition de 1969 d’Harald Szeeman, Nouvelles Vagues suggère d’envisager le commissaire d’exposition comme un chef d’orchestre du chaos. Une proposition qui est à la fois pertinente et maladroite. Car vous vous rappelez sûrement ce qui arrive à Mickey Mouse dans Fantasia lorsqu’il essaye, dans cette scène connue de tous, de faire danser des objets muets?  On peut prendre la pleine mesure de la catastrophe qui s’en suit au Palais de Tokyo:  une somptueuse pagaille.

Sean O’Toole   est écrivain et coéditeur de CityScapes, journal critique de réflexion urbaine. Il habite au Cap, en Afrique du Sud.

This House, du 21 juin au 09 septembre 2013,  www.palaisdetokyo.com.

Traduit de l’anglais par Mélanie Chanat

 

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